le dessous des petites phrases sur l'école

Publié le par Sauvons l'Ecole Pour Tous Bruche

ou comment le discours productiviste sur l'école gagne les discussions anodines.

 

 

La figure de l'école aujourd'hui, nous la voyons se dessiner à travers les mesures gouvernementales, dans ce que nous combattons et ce pour quoi nous résistons. Nous l'entendons aussi chaque jour se parler au détour d'une conversation. Petit tour des petites phrases qui en disent long sur la manière de vivre et de grandir dans l'école aujourd'hui.

 

Être sujet au sein de l'école ?

C'est dans le train, un échange de paroles avec un jeune garçon qui rechignait à l'idée de retourner à l'école le lendemain :

" - Pourquoi, comment ça se passe à l'école ?

- Bof, avant en CE2, j'étais le meilleur. Maintenant, en CM2, je suis 14ème sur 23. Je suis nul - enfin, je ne suis pas très fort - pour le sujet –verbe.

- Et écrire, est-ce que cela te plaît ?

- Je ne sais pas. On n'écrit pas. "

Échange anodin mais remarque exemplaire pour dire comment se pose l'école côté enfants. Pour cet enfant en particulier, l'école est immédiatement signifiée comme étant l'école de la distinction : l'élève est classé et il le sait. Il connait exactement sa place dans la classe ou pour mieux dire : son rang. Mais l'école dont il parle est tout autant l'école du découpage : l'enfant ne parle plus savoirs, connaissances, projets, il parle compétences : "Je n'ai pas la compétence sujet-verbe. " Et pourtant, cet enfant, par son propos, ne manifeste t-il pas quand même sa position de sujet ? Il a très bien compris ce qui est attendu de lui et semble capable de prendre de la distance face à l'image qui pourrait lui être renvoyée par l'école : "Je suis nul - Non je ne suis pas très fort dans...". Ce n'est visiblement pas le cas de beaucoup d'autres enfants qui, le matin avant d'aller à l'école se plaignent systématiquement de "maux de ventre"...

L'école qui se dessine aujourd'hui sera-t-elle encore une école égalitaire et émancipatrice pour tous demain ?

 

Trop lents ou trop chargé ?

"C'est une bonne classe, mais qu'est-ce qu'ils sont lents !" ou encore "Quand je dis bonjour aux élèves le matin, j'ai déjà l'impression d'être en retard sur le programme !"

Remarques sur le rythme d'apprentissage et sur le temps de classe qui passe trop vite ...Alors élèves trop lents ou...programmes surchargés????

L'école dont on parle ici est une école prise dans le cycle du "rendement". L'enseignant doit réaliser les objectifs du programme dense (le fameux "Socle commun de connaissances et de compétences" mis en place en avril 2005) en un temps raccourci.

Dans le même temps, les évaluations nationales pour les élèves se sont systématisées avec en filigrane une injonction de résultats chiffrés pour les enseignants. Doit-on prendre le temps nécessaire pour faire avancer chaque enfant à son rythme - et ainsi prendre le risque d'un retard inévitable sur l'avancée du programme...- ou doit-on pour remplir les objectifs assignés aller au pas de course pour faire réussir une grande partie de la classe ?

 

Travailler plus, pour apprendre mieux …?

C'est, pour semble t-il, en finir avec ce dilemme, que sont mises en place les aides personnalisées du soir ...ou que sont appelés à la rescousse parfois les parents : "Est-il normal que mon fils ait autant de fiches de rattrapage à la maison ?" ou autre remarque venant d'un parent épuisé : "On y a passé une heure et demi dimanche et à la fin c'est moi qui ait écrit !"

Toujours en vigueur, la circulaire du circulaire du 23 novembre 1956 supprime sans équivoque les devoirs à la maison restant sur l'argument que :

"Six heures de classe bien employées constituent un maximum au-delà duquel un supplément de travail soutenu ne peut qu'apporter une fatigue préjudiciable à la santé physique et à l'équilibre nerveux des enfants. Enfin, le travail écrit fait hors de la classe, hors de la présence du maître et dans des conditions matérielles et psychologiques souvent mauvaises, ne présente qu'un intérêt éducatif limité. En conséquence, aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe."

Aujourd'hui quel enfant scolarisé en primaire n'a jamais eu à faire à la maison des devoirs écrits qui s'ils n'étaient pas obligatoires étaient tout de même fortement conseillés ? C'est, pour nous enseignants, le souci d'abord bienveillant de mettre toutes les forces en commun pour permettre à l'enfant d'avancer. C'est, pour nous aussi parents, d'en faire faire parfois plus à l'enfant pour qu'il puisse réussir au mieux... Mais n'y a t-il pas là risque de surcharge pour l'enfant sommé de prolonger son temps d'apprentissage à la maison au lieu de pouvoir en profiter après l'école pour se reposer, jouer, retrouver ses copains, sa famille ou tout simplement pour avoir le droit de s'ennuyer ? Mais l'ennui, devenu une tare pour la pensée productiviste, n'est-il pas bien souvent le terreau des conquêtes de l'imaginaire ?

Moins de temps passé à l'école, mais plus de charge de travail à la maison : ne pourrait-on pas y voir là aussi comme une vague reculade de la mission éducative de l'école qui renverrait alors aux parents la responsabilité majeure de la réussite de leurs enfants à l'école ?

" Les conseils d'école, bof... "

Plusieurs fois entendu de parents de bonne volonté, qui voulaient s'investir au sein de l'école de leurs enfants : "Cette année, je ne me suis pas représenté comme délégué des parents d'élèves. Parce que parler des serrures à changer à l'école ou des murs à repeindre, ce n'est pas mon truc; j'ai autre chose à faire de mon temps."

L'an passé, dans nos écoles, nous avons pu voir fleurir motions, débats, pétitions présentées par les parents pour défendre l'école. Et nous avons pu faire la preuve ensemble, parents et enseignants que c'était possible dans les conseils d'école de parler d'autre chose que des serrures de portes blindées pour l'école. Possible de ne pas laisser les conversations s'encroûter dans des discussions portant uniquement sur les conditions techniques et matérielles de l'accueil de nos enfants à l'école.

Alors continuons !!! Continuons à insister pour parler éducation sans s'engouffrer dans des affrontements stériles (enseignants contre parents, parents contre enseignants) mais en essayant d'enrichir la communauté éducative de nos points de vue. Continuons à nous écouter pour surprendre dans nos propres paroles ce qui s'est -inévitablement pourrait-on dire - imprégné du discours productiviste ambiant. Continuons sans cesse à interroger nos "dits" et pratiques pour savoir s'ils correspondent vraiment à notre vision d'éducation et à remettre au travail notre pensée sur le terrain éducatif.

Myriam Dhume- Sonzogni

 

 

 

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